Mathieu Risacher's profile

YER ANA — Sandales et maroquinerie éthiques

Constance, le respect de la matière.

À 23 ans, Constance est cordonnière maroquinière de profession, et c’est dans son atelier des Hauts-de-Cagnes qu’elle exerce sa magie.
Nos chemins se sont croisés à l’occasion d’une confection sur-mesure. Nous avons passé de longues heures ensemble à échanger, rire, travailler le cuir, et cette immersion dans son quotidien d’artisane créatrice m'a sincèrement touché. Grâce à ces mots et ces photos, j'aspire à partager ses prises de conscience, et le message qu’elle souhaite transmettre en exerçant son métier.

Il n’est pas encore neuf heures, le voile rose du levé de soleil finit de s’estomper et la douceur hivernale du Sud commence à se faire sentir.
Situé en promontoire, à quelques minutes de la Méditerranée, il nous faut arpenter les rues inclinées des Hauts-de-Cagnes, ce village préservé des Alpes-Maritimes pour atteindre notre destination. Les murs pastel imbibent de charme ses étroites ruelles et nous font oublier l’effort d’une ascension digne des plus beaux sommets de la région.
Nous arrivons à bout de souffle, et elle rit de nous voir dans cet état.« C’est bon pour le cœur, c’est un bon entraînement ! »
Apparemment on s’y habitue.
Elle nous ouvre la porte de son atelier, et c’est un plongeon instantané dans un univers bien particulier. Celui d’un artisanat technique, d’un savoir-faire à la fois dur et minutieux. 
C’est en tous cas ce que l’on ressent à la vue des nombreux outils qui jonchent bureaux et établis. Une diversité de formes qui nous interroge, on se demande quelle utilité peut bien avoir cette pince ou cette baguette lors de la construction d’une chaussure.
On s’accoutume à l’espace, on se sent à l’aise dans cette atmosphère qui respire la passion, et c’est maintenant l’heure du deuxième plongeon, celui-ci dans l’univers propre à Constance, et on en reviendra changés, inspirés.
Deux années d’étude de la mode et du design, suivies de deux années chez les Compagnons du Devoir, à faire un tour de France de divers ateliers qui lui apprendront les rudiments du métier, la rigueur du geste, les secrets qui mènent à la perfection de chaque pièce.
Une courte expérience professionnelle le temps de trouver un lieu qui soit le sien, dans lequel elle puisse exprimer son potentiel créatif, et le tour est joué.
Elle est artisane, entrepreneuse, fabrique des pièces de maroquinerie et de cordonnerie sur-mesure et propose des ateliers de co-création.


Ce qui caractérise le travail de Constance, c’est son attrait pour la matière, aussi grand que le respect qu’elle lui porte.
D'après elle, si on y prête le temps et l'attention, le cuir nous révèle de lui-même ce qui le rend si spécial.
C’est un ressenti étrange qu'il nous procure, presque familier. Un toucher si proche de notre propre peau. Une odeur caractéristique, un comportement unique. Une résistance et une durabilité extrême, pour une technicité inégalée.
Diverses industries s’essaient depuis des décennies à imiter ses propriétés, sans succès.

Une matière précieuse donc, qui la condamne parfois à être convoitée, exploitée, dénaturée. 
Hors de question pour Constance d’alimenter une industrie déraisonnée. Si elle choisit cette matière, c’est pour lui faire honneur, et par la même occasion, pour transmettre ses valeurs. Celles d’un mode de vie durable et sain, d’une consommation éthique et raisonnée.

Alors à bas les élevages intensifs, le tannage aux métaux lourds et autres teintures chimiques. 
Constance emploie du cuir à tannage végétal exclusivement. Un procédé traditionnel vieux de plusieurs millénaires qui préserve l’aspect, la structure et la couleur naturelle de la peau. Une méthode douce, longue, technique, qui préserve ses qualités et lui confère un potentiel évolutif fascinant. Au fil des années, la peau va patiner, bronzer, arborer les marques du temps et de son usage, tout en se sublimant.

Qu'en est-il de la provenance de ce cuir de qualité ? Une question qui n'est pas non plus laissée au hasard, et là encore, les valeurs priment. Pourquoi élever des bovins uniquement pour leurs peaux, si ces dernières sont considérées comme des déchets pour l'industrie alimentaire ? 
Réintégrer ces dits « déchets » pour les revaloriser, c’est une condition sine qua non de son approvisionnement. Le tanneur qui lui vendra ses peaux devra être capable de localiser leur provenance afin d’assurer une traçabilité tout au long de la chaîne de production.
Car elle en est convaincue : « C’est en informant et en éduquant le consommateur final que nos modes de consommations évolueront durablement. »
L'engagement de Constance ne se limite pas à l'approvisionnement de sa matière principale. Il en va de même pour ses fils de couture, sa colle, ses pointes, ses formes... Tout est réfléchi dans une seule et même logique, celle de réaliser un projet ayant du sens. Un sens qu’elle souhaite partager, notamment au travers de son œuvre.
Ce sens lui vient de ses convictions, de son vécu, de celle qu'elle a envie d’être.
Comme une boussole orientant ses décisions; tout en prenant en compte les réalités du monde dans lequel elle vit. Elle y navigue sur des eaux parfois calmes, parfois troubles, et garde le cap qu’elle s’est fixée grâce à un caractère déterminé.


L’image qui nous vient lorsqu'on repense aux moments passés en sa présence, c’est celle d’un militantisme paisible, serein. 

Dévouée à être actrice du changement, elle propose des solutions en lesquelles elle croit, et les partage avec qui veut faire quelque chose de ses mains. Un engagement sincère qui a le pouvoir d’embarquer n'importe qui dans sa traversée.
À l’heure où il devient impossible de fermer les yeux sur les dissonances de notre monde, Constance incarne un véritable exemple de cohérence, un espoir qui fait du bien. 
Elle revalorise son métier sans effort : « Parfois on me demande si c’est compliqué de pousser mes convictions à ce point. Mais je réponds que non, ce serait l’inverse. Ce serait trop compliqué pour moi de faire autrement, ça fait partie de moi. »
Constance nous propose une nouvelle définition de l’artisanat.

• Insuffler son engagement personnel dans son métier, ses créations durables et réparables.
• Parvenir à exprimer sa créativité dans la fabrication de pièces aussi élégantes que versatiles .
• Favoriser le partage, la transmission au cours d’ateliers de co-création.


Du haut de ses 23 ans, elle bouleverse les codes d’un métier tantôt désuet, tantôt genré.
Elle remet en valeur un savoir-faire ayant souffert ces dernières années d’une accessibilité irrationnelle à des produits de qualité médiocre, en proposant, entre autre, une solution. Celle de réparer, si besoin, ce qu’elle confectionne. Une idée si simple, qui nous semble pourtant si étrangère.
Qu’il s’agisse de sandales, de souliers, de petite ou grande maroquinerie, tout est réparable... 
À condition qu’on le pense en amont de la production. Et c’est là l’avantage d’en être à l’origine. 
La durabilité n’est pas traduite par le montant affiché sur l’étiquette. Elle se pense, dès la conception, elle s’applique de la découpe au montage.
On peut le formuler de deux façons :
-  Elle impose son lot de contraintes.
-  Elle appose un cadre dans lequel s’exprimer.

Dans les deux cas, si elle est respectée, la satisfaction est au rendez-vous. Celle de pouvoir conserver, entretenir, chérir et pourquoi pas transmettre sa possession. À ne pas confondre avec un lien affectif purement matériel, on parle ici d’une sorte d’épanouissement, de reconnection à l’essentiel, du plaisir de prendre soin de quelque chose qui accompagne notre vie.
Car c’est aussi ça l’artisanat, mettre en œuvre des compétences pour fabriquer des objets qui cheminent avec nous, artisans de nos propres vies.
Une ébauche de définition qui constitue un retour aux préceptes de l’originelle, que l’on semble avoir un moment égaré. 
La boucle semble se boucler, et l’avenir apparaît plus dégagé.
Un vent nouveau souffle sur l’artisanat, et nous sommes fiers d’avoir eu l’opportunité d’apprendre auprès de l’une de ses pionnières. 
L’image des métiers délaissés car dénués d’intérêt n’est plus. On perçoit au contraire l’immensité des possibilités pour remettre en lumière ces gestes si importants, pour faire revivre la passion qui les anime.

Ce que l’on retient de notre rencontre avec Constance c’est avant tout sa joie de transmettre, son aisance dans l’exercice pédagogique et le partage qui nous ont permis de réaliser une pièce unique, technique qu’il est dur de cesser d’admirer. On retient aussi son rire, sa volonté de changer les choses à son échelle et la cohérence de son énergie d'action : équilibrée au même titre que le cuir, à la fois ferme et flexible.
Vous pouvez découvrir son travail et ses engagements en vous rendant sur son site : https://www.yer- ana.com/

Un vent nouveau souffle aussi pour Constance puisque des évènements l’invitent à déménager son atelier en terres Bretonnes. C’est un au revoir à la Méditerranée, désormais les brises océaniques porteront ses projets. Son premier défi, et pas des moindres, trouver un atelier, si possible dans une ruelle pentue. Pourquoi s’en passer, c’est bon pour le cœur.


Mathieu Risacher

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